Ukraine : au cœur d’une mission chirurgicale à Lviv

À Lviv, ville de l'ouest de l'Ukraine, La Chaîne de l’Espoir organise des missions régulières d’une semaine regroupant des chirurgiens et infirmiers bénévoles français, avec le soutien financier du Centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Leur mission : former leurs homologues ukrainiens aux techniques spécifiques de la chirurgie de guerre et à la prévention des infections. Reportage.
Operation room - Ukraine 2025

Dans les couloirs de l’hôpital Saint-Panteleimon de Lviv, en Ukraine, le Dr Stéphane Romano, chirurgien orthopédiste français et bénévole de La Chaîne de l’Espoir, examine attentivement les radios d’Arthur Dron, un jeune Ukrainien de 24 ans. Les images révèlent une blessure complexe causée par l’explosion d’une mine : des éclats ont traversé son avant-bras, provoquant une fracture et une rupture du nerf médian. Une blessure caractéristique des traumatismes de guerre, qui requiert une expertise chirurgicale spécifique.

« Avant ma blessure, j’étudiais le journalisme et je travaillais comme gestionnaire d’événements pour une maison d’édition », confie Arthur. « J’ai rejoint la 125e brigade de défense territoriale en mars 2022. Maintenant, après l’explosion de cette mine, je dois réapprendre à utiliser ma main. » Suite à l’opération réalisée par le Dr Romano en collaboration avec ses homologues ukrainiens, Arthur garde espoir : « Une partie de mon nerf a été arrachée, j’ai perdu la sensation dans plusieurs doigts et une partie de ma paume. Grâce à cette intervention, je pourrai récupérer beaucoup plus vite, retrouver de la sensibilité et la mobilité de mes doigts. »

Une expertise cruciale face à des blessures complexes

Dr Romano and Dr Rokyta - Ukraine 2025

Depuis le début de l’invasion russe, le service d’orthopédie et de traumatologie de Saint-Panteleimon est devenu l’un des principaux centres de prise en charge des blessés de guerre dans l’ouest de l’Ukraine. « La guerre a apporté ses propres défis« , explique le Dr Vasyl Rokyta, chef du service. « Les blessures par mines sont particulièrement complexes car la nature des traumatismes et des dommages est diverse. Même un délai d’un jour ou de quelques heures peut modifier l’approche du traitement. »

C’est pour répondre à ces défis que La Chaîne de l’Espoir, avec le soutien financier du Centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, organise des missions chirurgicales à Lviv plusieurs fois par an.

« Les chirurgiens ukrainiens sont très compétents », souligne Rory Peters, chef de mission de La Chaîne de l’Espoir en Ukraine. « Mais nos spécialistes apportent une expertise unique en matière de chirurgie de guerre et de traitement des blessures par explosion, ce qui rend leur contribution particulièrement précieuse. »

Le Dr Romano, qui cumule 35 ans d’expérience en chirurgie de guerre, forme les équipes locales à des techniques spécifiques : « Nous enseignons principalement la réparation nerveuse et la reconstruction après une blessure nerveuse, ainsi que la reconstruction osseuse avec des greffes très spécifiques, appelées techniques de membrane induite, qu’ils ne pratiquaient pas avant. » Cette collaboration est très utile pour l’équipe ukrainienne.

Dr Rokyta

« Ensemble, nous réalisons les consultations pour les cas complexes et réalisons les chirurgies. Nous avons beaucoup appris du Dr Romano car il a une grande expérience. Récemment, nous avons réalisé pour la première fois une intervention sur un soldat souffrant d’une grave blessure du plexus brachial. C’était une première pour notre établissement, c’était vraiment passionnant, un moment très spécial. Les émotions étaient intenses »

Dr Vasyl Rokyta, chef du service d’orthopédie et de traumatologie
de l’hôpital Saint-Panteleimon de Lviv

La prévention des infections, un enjeu vital

Mais la réussite d’une chirurgie ne dépend pas uniquement du geste chirurgical. Pour la première fois, deux infirmières françaises accompagnent le Dr Romano lors de cette mission pour former leurs homologues ukrainiens aux protocoles de prévention des infections.

« Les infections du site opératoire sont une source majeure de complications et de mortalité post-opératoire », explique Batoul Lyakoute, infirmière et bénévole de La Chaîne de L’Espoir. « C’est particulièrement critique ici car les blessures ont souvent été infligées dans des conditions extrêmes. » Emma Pertusa, également infirmière et bénévole de La Chaîne de L’Espoir, précise : « Nous partageons des protocoles spécifiques pour la préparation pré-opératoire : le transport du patient vers le bloc, son installation, la préparation du site d’incision… »

Batoul Lyakoute et Emma Pertusa, infirmières bénévole de La Chaîne de l'Espoir

Les infirmières ukrainiennes accueillent favorablement ce partage d’expertise. “C’est une expérience enrichissante d’observer comment les autres pays travaillent. En apparence, nous faisons les mêmes gestes, mais leur approche est différente”, explique Liza Goi, infirmière de bloc opératoire. “Ce qui est remarquable, c’est qu’ils s’adaptent à notre façon de travailler plutôt que l’inverse, ce qui facilite grandement la collaboration.”

Un enjeu d’autant plus crucial que les équipes médicales font face à une résistance croissante aux antibiotiques. « Beaucoup de patients reçoivent un premier traitement dans des hôpitaux près du front avant d’être transférés ici », explique Rory Peters. « Quand ils arrivent à Lviv pour des interventions supplémentaires, ils sont souvent confrontés à des complications infectieuses. Certains perdent des membres qui auraient pu être sauvés. »

Une chaîne de solidarité qui transforme des vies

Cette expertise est vitale pour des patients comme Andrii Sydorenko, un soldat qui a perdu la vue, subi une amputation de la jambe et souffrait d’une fracture au petit doigt de la main droite suite à l’explosion d’une mine dans la région de Donetsk. « Grâce aux médecins, je suis en vie aujourd’hui », confie-t-il. « Avec l’opération, mon doigt sera maintenant droit. Il ne bougera peut-être pas, mais il ne me gênera plus et ne me fera plus me cogner aux objets. C’est une énorme amélioration. »

Andrii Sydorenko et sa femme Lesia, post opération

Pour Lesia, épouse d’Andrii Sydorenko, le soutien médical va bien au-delà de la chirurgie. « Ces hommes ne sont pas seulement blessés physiquement, ils sont blessés mentalement. Au début, Andrii parlait peu, il était replié sur lui-même. Mais peu à peu, nous avons appris à communiquer. Pas à pas, nous avançons. Nous vivons, nous continuons, nous rêvons. »

Elle ajoute : « En étant à ses côtés, j’ai vu à quel point il est fort. Il m’a appris à être forte aussi. Chaque nouvelle opération ne nous fait plus peur. Nous sommes prêts, et cela nous rend plus forts. Le soutien que nous recevons aide Andrii à comprendre qu’il n’est pas seul. »

Un impact durable sur le système de santé ukrainien

« Lors d’une mission, nous pouvons opérer une vingtaine de patients. Mais quand je reviens trois mois plus tard, je découvre que 300 ou 400 patients ont été soignés entre-temps, avec ces techniques, par les chirurgiens que nous avons formés. »

Dr Romano osculte un patient durant une mission en Ukraine - 2025

Pour le Dr Romano, la plus grande satisfaction vient des résultats à long terme.

À travers ces missions régulières, La Chaîne de l’Espoir contribue à renforcer durablement l’expertise chirurgicale ukrainienne, permettant aux équipes locales de faire face à l’afflux continu de blessés. Une action essentielle alors que le conflit continue de mettre à rude épreuve le système de santé du pays et rend l’aide humanitaire en Ukraine indispensable.

Une mère avec sa fille à l'IMFE de Kaboul
Un père avec sa fille à l'IMFE de Kaboul
Un père avec son enfant à l'IMFE de Kaboul

Crédit photos : La Chaîne de l’Espoir / Iva Sidash

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