Carnets de voyage

Elle aurait voulu être architecte. Mais ses parents ont préféré pour elle l’école d’infirmière, à Paris. Yolande Thomas quitte alors la Bretagne et Saint-Brieuc.

Elle aurait voulu être architecte. Mais ses parents ont préféré pour elle l’école d’infirmière, à Paris. Yolande Thomas quitte alors la Bretagne et Saint-Brieuc. « J’ai ensuite travaillé pendant sept ans en réanimation de chirurgie cardiaque pédiatrique à Laennec. » Et voilà qu'à 30 ans, ça lareprend : «  Je voulais aller aux Beaux Arts ». Ce n’était manifestement pas là sa destinée puisque la jeune femme étudiera sur les bancs de l’école des infirmières anesthésistes. Pas de regret : « Ça va très bien avec la réa, il y une continuité, c’est très technique ».Diplômée, Yolande Thomas est embauchée de l’autre côté de la rue, à Necker. « Il y a des gens qui changent tout dans leur vie, moi, j’ai traversé un carrefour. » Un carrefour qui, pourtant, va la conduire au bout du monde… Formée, expérimentée, ouverte sur autrui, Yolande est vite sollicitée pour partir en mission humanitaire.Décembre 1989, première expérience, en Roumanie. Une révélation. « On a mis deux jours pour y aller car l’espace aérien était fermé. Nous avons déchargé l’avion pour finir en bus depuis la Bulgarie » Avec une équipe estampillée Kouchner, l’infirmière assiste, en direct, à la fin du règne Ceausescu. « J’ai découvert la guerre civile et la misère. » Ses mains attrapent le fragile pendentif bleu qu’elle porte au cou, le triturent.

A son retour à Paris, Yolande Thomas accuse le coup. Elle fait le point: « Ce qui me touche le plus ce sont les enfants, car ils n’y sont pour rien ! Je me dis que des adultes peuvent toujours se défendre, mais pas les petits. » Célibataire sans enfant, elle n’aura de cesse d’aller soigner aux quatre coins de la planète.

2 000 : Yolande Thomas repart avec l’équipe de Necker, en Palestine cette fois, à Djenin. Elle y retournera quatre ans plus tard, «  on avait moins de patients à opérer car les gens ne pouvaient plus se déplacer avec les check points. »

Puis ce sera l’Afrique, avec la Chaîne de l’Espoir. Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, la bénévole enchaîne les journées au bloc. Sur des photos en noir et blanc, les traits sont tendus, les yeux cernés. Yolande prend sur ses congés pour veiller sur le sommeil de ses patients et transmettre son savoir-faire aux anesthésistes locaux.  « C’est une excellente professionnelle », estime Maryvonne, une autre bénévole de l’association.

Kaboul

En novembre 2005, quand la Chaîne de l’Espoir ouvre l’Institut médical français de l’enfant à Kaboul, Yolande est là avec son équipe. L’année suivante, elle y retourne, seule. La spécialiste suit et évalue deux infirmières anesthésistes qu’elle forme. « Ce pays sortait de vingt-cinq ans de guerre, à l’hôpital les praticiens sont très en retard du point de vue de l’enseignement. »

A l’époque, les occidentaux peuvent encore se permettre de sortir de Kaboul, de partir décompresser dans les montagnes du Panshir. Yolande ramène dans ses bagages des piles de photos, de portraits. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tous semblent poser devant elle. « Les gens sont très attachants, j’avais l’impression qu’ils avaient un air philosophe, avec tout ce qu’ils ont vécu… » Son âme d’artiste reprend le dessus, elle colle les clichés dans un album aux pages noires et y note ses impressions, ses commentaires, à l’encre blanche. On la voit assise sur un lit d’hôpital, souriante, tenant dans ses bras un petit patient. « C’est Mohammed, c’est mon copain. »

Yolande devait retourner à Kaboul cet été mais, pour raison familiale, elle a repoussé l’invitation. Ce sera pour une prochaine fois puisque la voilà à la retraite. « Je n’ai pas encore l’impression », souffle-t-elle.

Sur le terrain, la toute jeune retraitée se met à l’anglais du matin au soir, termes médicaux compris. « Il y a des moments où je suis tellement fatiguée que je parle en italien ! » Une langue que lui a transmise sa mère.

Yolande Thomas aime jongler avec les cultures, les coutumes, l’histoire. Elle écoute, regarde, découvre, s’imprègne. Littérature, poésie et grandes civilisations l’enchantent. Elevée dans la religion catholique, la Française va à la rencontre d’autres croyances. « C’est un enrichissement humain énorme, ça rend tellement plus tolérant. »

Ch. P.