Revenir en arrière 12/08/2021 - Mission Bénin

Journal de bord du Dr Boutin : mission de chirurgie pédiatrique, Bénin

Je suis pédiatre en libéral et directrice médicale adjointe de La Chaîne de l’Espoir. Il y a 4 ans, j’ai choisi de renforcer mon engagement en faveur des enfants en intégrant l’association. Ensemble, nous avons déjà réalisé de belles choses, telles que la mise en place d’un programme de santé scolaire en Haïti et au Togo. Mais aujourd’hui, c’est une autre aventure que je souhaite raconter. Dans les lignes que vous vous apprêtez à lire, vous pourrez suivre jour après jour, à mes côtés, l’histoire d’une mission de chirurgie pédiatrique qui s’est déroulée en juillet 2021, au Bénin.

Jour 1 : départ pour Cotonou et retrouvailles

Toute aventure a un commencement. La mienne, la nôtre, débute à l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle le vendredi 2 juillet 2021. Ce jour-là, je retrouve Isabelle Silva, ma collègue et coordinatrice de programmes pour le Togo et le Bénin à La Chaîne de l’Espoir. C’est elle qui développe des stratégies pour améliorer dans ces pays la prise en charge médicale d’enfants malades. Pour mener à bien cette mission, elle travaille main dans la main avec les acteurs locaux ainsi que les personnes au siège de l’association. Quant à moi, je suis aussi coordinatrice programmes pour Haïti depuis 5 ans. Plus récemment, j’ai également été nommée directrice médicale adjointe. Je porte ainsi un regard, un appui et une expertise médicale, sur différents projets.

Ce vendredi, Isabelle et moi nous apprêtons à embarquer en direction de Cotonou. Une grande ville portuaire dont le nom est tristement lié à l’esclavage (« kutonu » signifiant « l’embouchure du fleuve de la mort »). Située sur la côte sud du Bénin en Afrique de l'Ouest, la ville au million d'habitants abrite désormais les principales activités économiques du pays. C’est donc assez naturellement que l’expertise chirurgicale pédiatrique s’y est majoritairement constituée. Une situation qui contraint les habitants des zones rurales à parcourir des dizaines voire des centaines de kilomètres, pour être soignés.

C’est en observant cette triste réalité que nous avons choisi d’organiser une mission chirurgicale pédiatrique de grande ampleur dans la commune de Klouékanmé, en zone rurale. Pour prévenir les habitants des provinces environnantes de notre présence, nous avons diffusé en amont de notre venue des spots radiophoniques.

Mais avant de rejoindre Klouekanmé pour lancer notre mission, il nous faut atterrir à Cotonou. Arrivées sur place après plus de 6h d’avion, nous retrouvons les visages chaleureux et familiers de Prosper Adigbli et d’Hugues, qui travaillent eux-aussi pour La Chaîne de l’Espoir, sur le terrain.

Avec nous se trouve également Claire de Crisenoy, infirmière en anesthésie-réanimation et le Dr Émilie Langlais, médecin anesthésiste pédiatrique. Toutes deux sont membres de notre réseau médical et attachées au CHU de Rennes. Leur présence, lors de ces missions où de nombreux d’enfants sont opérés en l’espace de quelques jours seulement, est essentielle. Depuis Lomé, Espoir Datchidi nous rejoint à son tour. Chef de mission pour le Togo et le Bénin, c’est lui qui s’assure que nos actions se déroulent correctement sur le terrain.

Enfin réunis, nous attendons avec impatience de pouvoir rejoindre la commune de Klouekanmé pour que débute notre mission.

Jour 2 : découverte de l’hôpital de zone de Klouekanmé

Samedi 3 juillet, avant de prendre la route en direction de Klouekanmé, nous réalisons une tâche primordiale au bon déroulement de la mission : la vérification et le chargement des consommables (fournitures médicales à usage unique telles que des seringues ou des sutures), des médicaments et du petit matériel nécessaires à la réalisation de nos opérations. Car, si en France, il n’est pas difficile de se procurer de quoi réaliser des interventions chirurgicales pédiatriques, au Bénin et plus particulièrement encore à Klouekanmé, la tâche relève de la mission impossible. C’est pour cette raison que nous emmenons avec nous tout le matériel nécessaire depuis Cotonou.

Nous prenons la route avec l’équipe du Centre National Hospitalier Universitaire Hubert Koutougou Maga (CNHU-HKM). L’équipe constituée de 17 personnes compte notamment 4 étudiants du diplôme d’études spécialisées en chirurgie pédiatrique (DES-CP). Elle est supervisée par le Pr Michel Fiogbé, chef du service de chirurgie pédiatrique. Dans très peu de temps, tous s’apprêtent à réaliser un grand nombre de consultations et d’opérations.

Réparties entre bus et voitures, notre équipe et celle du CNHU-HKM quittent Cotonou et arrivent à Klouekanmé, à 18h.

Sur place, nous découvrons l’hôpital. Un hôpital à l’infrastructure modeste mais correcte et suffisante pour les chirurgies que nous nous apprêtons à effectuer. Je parcours la 1e aile où se trouve des blocs opératoires mis à disposition pour la mission, ainsi qu’une salle de stérilisation et une salle de réveil. Puis, dans la suivante, j’aperçois 2 salles d’hospitalisation (post-opératoire).

Après avoir déchargé et organisé les consommables et médicaments, nous sommes tous conviés par le directeur de l’hôpital de zone de Klouekanmé, à un diner de bienvenue à l’hôtel où nous séjournons. Un moment de convivialité entre tous les participants de la mission qui nous permet de faire plus ample connaissance et de profiter de derniers instants de calme, avant que le rythme de la mission ne s’accélère.

Jour 3 : les consultations d’enfants malades

Dès 8h, l’hôpital de zone de Klouekanmé est déjà très animé. Notre appel radiophonique a été entendu. À la fin de ce dimanche, plus de 879 tickets (un par enfant) permettant d’obtenir un numéro de passage en consultation ont été distribués aux familles. Pour accueillir toute cette foule, 2 grandes bâches ont été installées dans l’enceinte de l’hôpital, avec des chaises disposées en dessous.

Après avoir récupéré ce ticket, les enfants doivent se rendre dans l’un des 4 bureaux de consultation. Là-bas, il leur est remis un carnet de santé qui permettra aux chirurgiens d’écrire les indications chirurgicales.

Au cours de la journée, j’assiste le pédiatre béninois dans la consultation de nombreux enfants atteints de différentes pathologies. Certains souffrent d’hernies inguinales et ombilicales (déplacement de l’intégralité ou d'une partie d'un organe à l’extérieur de la cavité censée le contenir), d’autres d’hydrocèles (accumulation de liquide dans une « poche » entourant les parties génitales masculines), ou encore de déformations osseuses assez impressionnantes causées par le rachitisme (carence en vitamine D et en calcium). Les enfants qui en sont victimes sont la plupart du temps maintenues à l’intérieur de peur du paludisme.

Dans les 5 salles prévues pour les consultations (une est réservée à la pédiatrie et les quatre autres à la chirurgie pédiatrique), les rendez-vous s’enchaînent. À la fin de la journée, 39 enfants sont déjà prévus sur le planning opératoire du lendemain. 

Jour 4 : début des opérations

Ce lundi 5 juillet marque le commencement des opérations de chirurgie pour l’équipe du CNHU-HKM, sous les regards attentifs des 4 étudiants du diplôme DES-CP. Car cette mission n’est pas seulement une chance d’opérer de nombreux enfants en peu de temps. Elle est aussi une formidable opportunité de transmettre des connaissances, des compétences. Ainsi, les chirurgiens en formation peuvent observer le méticuleux travail de leurs pairs. Ils peuvent apprendre les gestes, les techniques, qu’ils seront amenés très vite à reproduire.

À la fin de cette journée, 40 enfants ont déjà été pris en charge. C’est un de plus que ce qui était initialement prévu. En parallèle des opérations, les consultations ont été finalisées par les chirurgiens (entre les différentes interventions chirurgicales) et par la pédiatre.

Jours 5 à 8 : 191 enfants opérés et de beaux projets en perspective

Mardi matin, nous accompagnons l’équipe médicale pour la 2e journée d’opérations à l’hôpital de zone de Klouekanmé. Avant que les choses sérieuses ne reprennent, nous posons tous ensemble devant l’objectif du photographe afin d’immortaliser cette belle aventure par une photo de famille. S’ensuit une discussion où chacun fait part de ses observations autour de la mission. Nous partageons les points positifs comme négatifs car toutes ces remarques permettront d’améliorer nos missions à venir.

Isabelle et moi quittons le groupe à 10h, pour rencontrer différents acteurs du secteur, à Cotonou. Nous souhaitons profiter de cette mission pour faire un point sur les avancées et problématiques rencontrées dans ce pays dans le domaine de la chirurgie pédiatrique. Avec nos différents intervenants, nos échanges tournent principalement autour des besoins en équipements, en formations, en missions, en transfert d’enfants en France ne pouvant être pris en charge sur place… Ces précieuses informations nous permettront de réfléchir une fois rentrées à Paris, aux stratégies et aux projets à adopter pour améliorer les choses.

Entre nos différentes réunions, nous sommes régulièrement informées de l’avancée de la situation à Klouekanmé. Dans la commune, la mission a rapidement trouvé son rythme de croisière. Soutenu et constant. Chaque jour jusqu’au vendredi, près d’une quarantaine d’enfants sont opérés. Claire de Crisenoy, et le Dr Émilie Langlais, font un travail extraordinaire et se sont très bien adaptées à un environnement de travail très loin de leurs conditions en France. Le personnel soignant ne manque pas de sollicitations et ne compte pas ses heures. Et, malgré la fatigue, toute l’équipe mobilisée fait un travail remarquable en apportant à chaque enfant pris en charge la même qualité de soins.

Lorsque la mission s’achève vendredi soir, 191 enfants ont pu être opérés. 191 enfants de moins de 15 ans dont la vie a été changée, apaisée, en l’espace d’une opération.

Ce soir-là, nous quittons la belle ville de Cotonou pour nous rendre en voiture à Lomé, capitale du Togo. Là-bas, nous avons de nombreux rendez-vous. À la fois dans les deux grands hôpitaux de la ville pour rencontrer les directeurs généraux et chirurgiens pédiatriques, afin de connaitre leurs capacités à recevoir des missions françaises. Mais aussi pour aborder leurs besoins en matériels, après l’envoi que nous avons d’ores et déjà réalisé. Je dois aussi clôturer avec les intervenants locaux, deux projets débutés en janvier 2021. Le projet « IGNACE », étude pilote de dépistages sensoriels dans 4 écoles de la ville. Et la finalisation de notre étude, sur l’effet d’une supplémentation de spiruline (algue très riche en fer), pour corriger l’anémie des enfants.

À mon retour à Paris, je garde en mémoire toutes ces rencontres, ces sourires, ces remerciements. Tous ces visages de parents reconnaissants, d’enfants insouciants, pour qui rien ne sera désormais plus comme avant. Mais je n’oublie pas tous ces enfants que nous n’avons malheureusement pas pu opérer et qui seront contraints de se déplacer à Cotonou, car les chirurgies dont ils ont besoin sont complexes pour être réalisées lors d’une mission de ce type et nécessitent un suivi post opératoires plus long.